Heiva : le Tiurai démocratisé
Avant 1985, année où il prend la dénomination de Heiva, ce célèbre événement culturel s’appelait Tiurai, déformation du mot anglais July (juillet). En effet, le Tiurai est organisé pour la première fois en juillet 1881, un an après l’annexion de Tahiti par la France, par l’administration coloniale désireuse de fêter dignement le 14 juillet.
Si le Tiurai revêt pour les colons un aspect très militaire, la fête donnée pour la population locale a des airs plus festifs : jeux, divertissements, chants (himene) dont le premier concours est organisé cette même année… mais aucune démonstration de danse – les mouvements jugés trop indécents avaient causé son interdiction en 1820.
C’est à l’occasion du Festival des Arts du Pacifique Sud en 1985, soit un an après l’acquisition de l’autonomie interne, que le Tiurai devient le Heiva i Tahiti. De plus, le gouvernement instaure une journée de rassemblement le 29 juin qui lance les festivités du Heiva : c’est le Hiva Vae Vae.
Chants
Les premiers himene furent créés au début du 19ème siècle sous l’influence des chants polyphoniques traditionnels polynésiens d’une part et des hymnes religieux des premiers missionnaires protestants d’autre part. Le himene tarava, le himene ru’au et le ute sont les principaux types de himene.
S’ils revêtent un aspect religieux quand ils sont chantés dans les temples protestants, le himene tarava et le himene ru’au redeviennent profanes lors du Heiva et contribuent à perpétrer les légendes ma’ohi dont leurs thèmes sont issus.
- Le himene ru’au est chanté acapella (sans musique) sur un tempo lent par un groupe composé d’un chœur mixte et de solistes assis en arc de cercle devant un chef de chœur.
- Le himene tarava regroupe généralement de 60 à 80 chanteurs et chanteuses issus du même district ou de la même paroisse protestante. Composé de six à dix voix, le himene tarava est par essence d’une grande complexité : voix d’hommes produisant des sons graves et rythmés, voix de femmes et d’hommes se mêlant pour chanter le texte ou chantant en contretemps, femmes ne chantant que les premières phrases pour lancer la mélodie, solistes faisant des vocalises et des modulations, etc…et enfin chef d’orchestre connaissant toutes les voix. Lorsqu’il sent que l’équilibre des voix atteint la perfection, il se retourne pour faire face au public et ajoute à son tour sa voix à l’édifice.
- Le ‘ute est un chant interprété sur un rythme très enlevé par deux ou trois personnes accompagnées d’instruments traditionnels et plus modernes (guitare, ukulele, harmonica et accordéon) et prend un ton souvent très satirique, à la grande joie des spectateurs.
Les ‘orero garants de la culture orale
La culture polynésienne pré européenne est par définition une culture orale qui n’aurait pu se transmettre de génération en génération sans les messagers qu’étaient les ‘orero. Ces hommes en effet devaient parfaitement maîtriser tous les domaines de la culture et, qui plus est, savoir transmettre leurs connaissances. Véritables hommes savants, il devaient aussi se faire orateurs, conteurs, et parfois même acteurs et chanteurs, et avoir une mémoire infaillible ainsi qu’une voix forte et infatigable.
Seule une longue éducation pouvait donner un bon ‘orero : l’élève était d’abord tatoué, parfois sur l’ensemble du corps, ce qui constituait un véritable « rite de formatage », puis il était « rempli de savoir » tel un objet vide. Aussi, au sortir de sa formation, le ‘orero devait parfaitement maîtriser les trois règles d’or de sa future fonction : le mana, véritable force vitale au savoir ; le pa’ari, le savoir lui-même et enfin le tapu, sorte de déontologie du ‘orero.
Histoire de la danse
Interdite en 1820 par les puritains missionnaires britanniques, la danse polynésienne, jugée trop indécente, fait timidement sa réapparition au début du 20ème siècle mais restera enfermée dans un carcan au cours des 50 années suivantes. Tenues ne laissant apparaître que le visage, les pieds et les mains, gestes et postures figés… Il fallut attendre la deuxième moitié du 20ème siècle pour voir apparaître un certain renouveau, malheureusement, les pertes culturelles étaient immenses.
Ce sont les mots ouverture et codification qui résument le mieux l’évolution de la danse polynésienne à partir des années cinquante. En effet la pression exercée par de fortes personnalités comme Madeleine MOUA vont peu à peu permettre de lever les interdits et d’assister à une véritable renaissance de cet art longtemps privé de toute expression. S’amorce alors un véritable mouvement de recherche et de codification des pas et des postures tels qu’exécutés avant l’arrivée des Européens. Mais ceci ne se fit pas sans mal : en effet cette ouverture fut parfois mal perçue par les esprits « conservateurs », tandis que les nouvelles conventions entravaient une liberté de danser nouvellement acquise.
Les concours du Heiva permettent depuis 1998 de concilier ces deux éléments en promouvant à la fois la créativité et le respect des traditions. La danse renoue en effet avec la tradition grâce au Prix de la Tradition Madeleine Moua ou au Prix Claire Leverd qui couronne la formation ayant su au mieux défendre les traditions originelles. Mais elle fait aussi une large place à la création au travers du Grand Prix de la création libre Gilles Hollande, grand danseur et chorégraphe des années 90 qui fut le premier à faire connaître la danse polynésienne dans le monde entier.
Types de danses
Quatre types de danses sont présentés lors des concours du Heiva : le ote’a, le aparima, le hivinau et le pa’o’a.
- Le ote’a est la plus codifiée des danses traditionnelles tahitiennes. A l’origine réservée aux hommes, elle est aujourd’hui dansée également par les femmes et se caractérise par des mouvements amples, brusques, un rythme rapide et saccadé ainsi que par le sentiment de puissance qui s’en dégage. De plus, le grand nombre de danseurs ainsi que leur disposition géométrique sur la scène autorise des déplacements de groupes impressionnants pour le spectateur, mais laisse peu de place à la nouveauté.
- Le aparima est la danse des gestes par excellence : les mains miment une histoire grâce à toute une gamme de gestes symboliques (la mer, le vol des oiseaux, la voix…). Accompagné ou non par le chant des danseurs, le aparima peut être dansé soit avec un costume de feuillage dans un tableau descriptif de la vie quotidienne d’un village, ou encore avec de superbes robes en tissu laissant deviner les courbes des vahine.
- Le hivinau est la plus simple et techniquement la moins exigeante des danses tahitiennes mais pas la moins impressionnante visuellement. En effet, les danseurs se placent sur deux cercles concentriques, souvent un cercle de femmes et un autre d’hommes, et tournent dans des sens opposés. Ces croisements permettent d’illustrer de grandes scènes de la vie quotidienne et de la vie en mer, ainsi le hivanau peut être fondu avec le pa’o’a.
- Le pa’o’a est une danse liée traditionnellement à la fabrication du tapa. Assises à terre, les femmes battaient l’écorce en cadence et s’accompagnaient de chants afin de se donner du courage ou pour rompre la monotonie. L’une d’entre elles pouvait se lever et entamer un solo ou simplement quelques pas de danse. Accompagné uniquement par les rythmiques des instruments à percussion, le pa’o’a est interprété aujourd’hui par un groupe de danseurs assis se frappant les cuisses avec frénésie ainsi que par une danseuse solo ou un couple de danseurs.
Costumes
Les costumes portés par les groupes de danse font partie à part entière du spectacle donné, ils font d’ailleurs l’objet d’une notation propre lors du Heiva, et sont une véritable marque de fabrique pour certains groupes. Ils permettent également la continuité d’une tradition culturelle, identitaire et artisanale forte.
On distingue 3 types de costumes, celui :
– du chef de groupe, qui doit différer légèrement de celui des danseurs afin qu’on ne les confonde pas lors des déplacements
– des danseurs et danseuses
– des musiciens
Les coiffes et les objets de parement sont toujours somptueux. C’est le cas du fau, une coiffe gigantesque juchée sur la tête des danseurs et du taumi, large col décoré porté à la manière d’un collier autour du cou.
Il existe par ailleurs de nombreuses règles régissant le concours du Heiva et définissant de véritables conventions : utilisation exclusive de matières végétales, costumes d’inspiration artisanale, utilisation du bleu uniquement sur les tissus, bijoux bannis…
Instruments traditionnels
Le concours du meilleur orchestre du Heiva a toujours été pour les orchestres traditionnels locaux la fin d’une année de dur labeur ainsi qu’une véritable tribune où faire preuve de son talent : qualité des musiciens, rapidité d’exécution, originalité des mélodies ou au contraire retour à des mélodies plus anciennes, tenues… tout peut être sujet à critique.
Depuis 1998, le concours se déroule en deux temps avec un programme imposé et un programme libre. Le programme imposé pourrait se résumer ainsi : cinq musiciens, cinq instruments différents et cinq morceaux à interpréter avec la plus grande clarté et rigueur possibles. Le programme libre quant à lui privilégie la création originale mais met aussi l’accent sur la difficulté des morceaux, la diversité des instruments et des sonorités.
Bien qu’importé des îles Cook, le to’ere, dont il existe trois tailles différentes, est devenu la percussion polynésienne par excellence, s’intégrant parfaitement aux ensembles musicaux pré-existants. Sa fabrication dans du bois de rose ou de tamanu demande une grande agilité et une oreille fine de la part du sculpteur afin d’obtenir une échelle de sons la plus juste et la plus étendue possible. En effet c’est uniquement en modifiant le point de frappe de la baguette que l’instrumentiste obtiendra les sons désirés.
Le tari parau est en quelque sorte la grosse caisse polynésienne puisque frappé avec une baguette de feutrine, il produit un son grave et sourd. Il peut aussi être frappé directement avec les mains pour donner de légers contretemps ou pour étouffer les vibrations.
Le ‘ihara est un bambou fendu en fines lamelles sur lequel le musicien frappe avec deux baguettes.
Le pahu est l’instrument polynésien qui se rapproche le plus des percussions connues dans le reste du monde, comme le djembé africain par exemple. Tout comme dans le reste du monde d’ailleurs, ce tambour avait de nombreuses utilisations : encourager les guerriers pendant le combat, accompagner les cérémonies des marae, rythmer les soirées de Heiva…
Le vivo est une flûte en bambou à trois trous dans laquelle on souffle avec le nez. Bien qu’il ne puisse exécuter que peu de notes, le vivo produit des sons agréables à l’oreille grâce au travail d’harmonisation des musiciens jouant à plusieurs.